Portrait d’artiste : Erwin Blumenfeld un photographe à la modernité toujours en vogue
Alors qu’il est mis à l’honneur au Musée du Jeu de Paume qui jusqu’au 26 janvier 2014 propose une rétrospective de son œuvre, Erwin Blumenfeld, pionnier de la photographie moderne continue à faire rêver tous les apprentis photographes en quête d’un nouveau focus. Il en aura fallu cependant de l’entregent et de l’inventivité à monsieur Blumenfeld pour imposer son talent marginal et le voir mis à l’honneur sur le papier glacé des plus grands magazines de mode, notamment grâce à l’influence de Cecil Beaton qui repéra très vite son œil iconoclaste et grinçant hérité du mouvement dadaïste.
Juif allemand, Erwin Blumenfeld né en 1897 à Berlin, traversa avec classe et dérision un siècle hanté de conflits, d’antisémitisme et fut de par ses origines confronté directement à cette horreur. C’est très tôt, dès les années 20, qu’il emprunte les routes de l’exil pour s’installer aux Pays Bas en tant que maroquinier. De nature caustique, il cultive le gout du défi et a besoin de l’exprimer par la création. S’ensuit une constellation de dessins et collages politiquement incorrects, vibrant hommage à son mentor dadaïste Charlie Chaplin qui sut avant l’heure avec son Dictateur pressentir les heures sombres à venir.
C’est dans le milieu des années 30 alors que sa maroquinerie bat de l’aile qu’il se met sérieusement à la photo et que l’amateur portraitisant ses clientes devient le photographe de génie utilisant toute une palette surréaliste faite de distorsion, de solarisation ou de contre plongée. En 1936 , il s’installe en France et fait ses armes au vogue France grâce à Cecil Beaton. Une reconnaissance de courte durée car il est arrêté et interné en camp de travail dès lors que les nazis posent leurs bottes sur le territoire français. Non sans difficulté, il parvient néanmoins à s’exiler aux Etats Unis avec sa famille, ouvre son propre atelier, peaufine ses expérimentations surréalistes et reprend sa collaboration pour la mode. Une collaboration fructueuse qui lui laissera le champ libre pour dépoussiérer la traditionnelle photo glamour, y insuffler sa poésie et son obsession du détail notamment celle ayant trait au corps féminin qu’il admire avec un sens de la distance amusée. Parmi ses photos les plus célèbres pour Vogue demeurent sa cubiste vision d’un visage à plusieurs bouches pour un rouge à lèvres, ou encore le focus sur l’œil de biche.
Affranchi des lieux communs, Erwin Blumenfeld a su comme peu de photographes donner à la mode un supplément d’âme en l’émancipant des poses de mannequins alanguies. Très vite son talent est reconnu et il tire le portrait des célébrités sans jamais se départir de son humour. En 1955, il fait ses adieux à Vogue et travaille sur son autobiographie, qui en conformité avec son image est un patchwork déstructuré et fantaisiste. Un véritable remède contre la morosité que ce dandy combattit toute sa vie.
Il s’éteint dans la ville de la Dolce Vita en 1969 laissant dans son sillage un parfum de modernité fragmentée dont beaucoup s’inspirent encore aujourd’hui.
Notre conseil : partez à sa rencontre et poussez sans hésiter la porte du musée du Jeu de Paume pour une immersion au cœur du talent de cet artiste qui sut photographier ses fantaisies intérieures et les transmettre. Du grand art qui ravira et amusera vos prunelles.